J’ai revu Nath. récemment
le « béïbéï » va bien
pendant que nous prenions un café
je préparais l’appareil
le sx70
oui
ce merveilleux engin qui crache ses polas
dédaigneusement
à la façon d’un chat feulant.
nous allions faire de l’argentique dans le jardin
C’est alors que j’aperçois la pose.
Je demande à Nath de se figer
J’enclenche la mise au point
Dziiiiizzz !
Instantanément je perçois les enjeux de l’image
ce flou que j’espère
il n’y a pas de lumière directe à cet endroit
ces regards détournés
cette pose
ce mouvement arrêté
La compo s’impose d’elle-même
profil découpé dans le clair à gauche
chignon col et chemise dans le centre
le noir par dessus le blanc du bambin
J’ai un Gerhard en main
Comme un Richter dans le salon.
Le charme opère
les choses se mettent en place toutes seules
elles viennent sans crier gare.
En la voyant les gens disent :
Oh la belle plante !
Et pour cause, Charlotte, est un monstera deliciosa,
en ce moment
elle regarde par dessus mon épaule
comment je la dessine dans l’espace
à l’aide de fil de fer
ça l’intéresse…
Elle se dit en elle même « mon petit Calder ».
Contente d’être ma muse.
Elle trouve que je prends quelques liberté sur la ressemblance
mais se trouve jolie finalement.
Alors elle danse.
.
– Le jour où je suis tombée amoureuse de Buster écrira-t-elle,
plus tard dans ses mémoires,
l’arrière grand-mère de Wispra.
.
On sent qu’elle est rentrée le soir chez elle
en racontant sa journée à sa coloc,
enthousiaste…
Ça aurait donné comme ceci
– Oh dear
(qu’elle aurait dit)
on a fait un truc génial aujourd’hui
(elle dirait « so amazing » bien sûr,
on est en Amérique),
il y avait Buster Keaton qui chantait et dansait
(singing and dancing),
avec Marion Shilling
(Quelle rime !)
Soit dit en passant,
elle danse comme un fer à repasser
(like an iron)
mais lui,
même avec son maquillage
et son costume tout ridicule,
C’qu’il est cute !
(minaudant et explorant , des yeux, le plafond)
Je l’ai même taquiné en tirant sa veste par derrière(*)
et je crois bien qu’il a regardé dans ma direction une ou deux fois par la suite…
Presque sûre,
presque ;
tu verrais son regard,
ses yeux !
Il en a deux…
Ce qu’ils sont beaux !
Both of them.
Et nous,
les girls,
tout le folklore qu’on s’est mis sur le dos,
des godillots,
je ne te dis que ça,
un morceau de goudron avec chaussettes et jupette ridicule…
Des danseuses grecques sans sirtaki,
en line dance ma fille.
Heureusement que ma mère ne voit pas ça,
du moins je l’espère.
(I hope so).
Et puis,
c’est pas tout,
lorsqu’il ressort de la boîte en clown pantin
t’aurais vu cette élégance,
cette souplesse,
ce lâcher prise…
Après, je suis allée dans sa loge et…
Devine ?
We have a date !
Un café demain.
Can’t wait !
.
…
Buster parlant
c’est tout une époque déjà,
de plus le garçon avait une assez belle voix et tenait l’air.
Pendant qu’il chante,
par contre,
je n’ai cessé de reluquer la petite à l’arrière plan
la deuxième en partant de la gauche,
qui fait tout le travail,
certainement boostée par Edward Sedgwick à la mise en scène
sur cette chorégraphie délicieusement désuète
aux costumes ridicules
c’est quasi la seule qui se démarque pour animer la troupe
surjouant un peu,
beaucoup,
passionnément ,
à peine,
buvant les paroles de Buster,
vraiment,
vivant le moment,
l’instant,
elle se la raconte,
se penche un peu plus,
joue du pied,
s’intéresse
coiffant au poteau, Marion Shilling,
qui est bien gentille,
mais bon.
Et à 1’52,
as-tu vu le regard discret du ceusse,
à la dérobade,
avant de tomber dans la boîte à malice laissant Marion,
quatre secondes plus tard continuer l’air
de sa petite voix chevrotante.
C’est une chose dont on ne se rend pas compte
quand on est enfant
ou adolescent
c’est qu’on ne sera pas adulte dans le monde qu’on a connu
du tout du tout
.
Don’t look back (Kaya Scodelario)
Et ça on se prépare toute notre vie à être adulte
dans le monde qu’on a connu enfant,
… On est préparé à ça
et puis quand on y arrive
– Ah non, c’est pas du tout les mêmes codes
Pas du tout, du tout.
(Cité de mémoire à partir d’une micro-interview d’Édouard Bear,
amuseur fin du XXème s.- début du XXIème s.).
Le sx70 a parlé
avec ses contrastes doux,
son velouté cotonneux et aérien
une matière suave et gourmande
qui distribue ombre et lumière
en voiles légers…
Rien à voir avec le rendu
sans appel
du numérique
sec et âpre,
lui.
Entre l’argentique et l’autre
pour cette version remastérisée de l’enlèvement d’Europe
il n’y a pas photo
Chlo peut s’envoler tranquille
Je garde le pola.