Archive for the 'photos' Category

L’analogique l’emportera toujours.

Rino restait confiant
il se prêtait à des séances de poses interminables
mais ça lui faisait sa journée et lui remontait le moral.
Il était incollable en photo ;
Avedon il kiffait à donf
Horvat qui venait de disparaitre,
il aurait rêvé de bosser avecque.
Il vénérait,
que dis-je,
il vouait un culte à George Hoyningen,
c’tte classe qu’il se murmurait en lousdé.
Lartigues et le mouvement ça l’interpelait,
quel génie ce bonhomme !
Par contre, niveau peinture, c’était autre chose, on ne peut pas être bon partout.
Quand on lui parlait de picturalité ,
il ne pouvait s’empêcher de penser au noir et blanc
chez Sarah Moon
qui le faisait littéralement barrir de plaisir…
Et ses couleurs sourdes, alors là, ça le faisait s’esbaudir…
Sa série au jardin des plantes
avec ses cousins et cousines empaillés lui avait tiré plus d’une larme,
car oui sous son épaisse carapace
un Stradivarius sommeillait
avec un cœur gros comme ça.
Et puis, bien sûr, Saul Leiter,
il aurait aimé déambuler en sa compagnie,
ni vu ni connu dans Manhattan,
le voir travailler
l’entendre parler de « son » New York
ou encore deviser à bâtons rompus avec Vivian Maier
en surveillant d’un œil distrait les mômes.
Le bonheur se lisait
dans les roulades et culbutes
qu’il faisait dans sa petite fosse de boue
après avoir parcouru un nouveau catalogue apporté par un sien ami,
un gardien à qui il racontait « son Afrique »,
échange de bons procédés.
En parlant de Nature, vous avais-je dit qu’il adorait Bernard Plossu,
ses oiseaux, sa période Mexicaine ?
Et puis,
et puis il n’avait pas assez de mots pour le travail de Francesca Woodman,
sa préférée, peut-être,
cette gamine trop tôt disparue lui ouvrait une brèche,
là.
Son menton tremblait un peu,
ses narines se faisaient plus minces,
il avait ce léger tic à l’oreille gauche comme un petit mouvement d’hélice.
Pudique, il était, le Rino.
Un violon vous dis-je.
La chaleur des spots, le maquillage les décors de fond lui rappelaient « Sa » lointaine savane du Kenya où il avait passé enfance et adolescence avant de se retrouver dans cette boîte en fer à la suite d’une violente piqure dans le fessier… Bonjour la pudeur !
Alors, le confinement, il connaissait.
Ça le faisait doucement marrer ces gens qui n’arrêtaient pas de se plaindre.
Il les entendait derrière leurs masques.
D’où il était, dans le zoo d’Anvers il entendait aussi les trains,
les annonces aux voyageurs,
avec le temps il s’était familiarisé aux horaires qu’il avait mémorisé.
Et puis il y avait le sabir local…
Il comptait sur sa connaissance des langues pour se faire la belle :
un Thalys pour Paris
puis Charles De Gaulle pour New York
Et à lui le MOMA !
Il y avait Winogrand en ce moment.
.

La pipette.

Elle se rappelait de
l’arbre duquel la sève avait coulé
transformée en balle compacte faite de fil
ce long voyage dans des soutes nauséabondes
le passage en usine
puis la mutation…
Une vie nouvelle.
Longtemps elle avait roulé sa bosse dans les champs
Maïs, pommes de terre, lin, betterave n’avaient plus de secrets pour elle.
Ensuite ce fut l’abandon
de longues années
une grange
et ce gamin
avec dans les yeux
une convoitise immense.
.
L’odeur de caoutchouc chaud qu’elle dégageait
le son sourd et lointain
comme l’univers et ses confins
gonflée à bloc
imperfections et étranglements,
fleurant encore la térébenthine
scarifications et autres réparations oranges et noires
puis la « pipette »…
La valve plutôt,
ce méchant bout de métal griffait tout du long
le dos ou la jambe
avec la complicité d’une vague plus sournoise que les autres.
Ça te posait face aux autres bouées
canard
cygne
voire poisson
en vulgaire plastique lisse.
Elle, elle voyait l’océan enfin !

.

Ida Wyman, Boy with Inner Tube, Santa Monica, California (1949), gelatin silver print.

La famille (dé)composée.

Avec cet objet révolutionnaire
recomposer sa famille n’aura jamais été aussi facile
littéralement une « machine à souvenirs ».
Envie d’un arrière grand-père bougon,
anti-clérical,
amateur de femmes un peu légères ?
– Rien de plus simple : tapez C69
(« C » comme connard et soixante-neuf…
Je ne vais pas tout expliquer).
Envie d’une aïeule un peu névrosée
enfermée à seize ans dans un couvent
qui s’en échappe à vingt
et part pour l’Inde ?
Tapez THC
La drogue c’est mal.
Un fiston de dernière génération (les « Y »)
avec iPod®,
MacBook Pro® et
tablette android dernier cri
pas compliqué,
– Composez R2D2.
HAL9000
pour un môme s’inscrivant à Yale,
attention !
Ne pas se tromper.
On peut bien sûr opter pour un panaché
une famille sans histoire
un départ à l’étranger,
des fins de race
ou encore
… la moustache du père
Qui est mort d’une glissade
Et qui regarde son troupeau

mais
celle-là
elle a déjà été écrite par un homme de grand talent.
Bref ! Tu vois,
depuis que le monde est monde,
Dieu s’amuse.


.
(Photo empruntée à Thierry Massin sur un réseau (as)_(anti)_social que je ne nommerai pas).
.

Et en parlant de ça,
me revient cette histoire singulière
Mais je te laisse découvrir
ce curieux scénario
dont je ne me lasse pas.

Au début des années 80, l’écrivain Michel Folco a eu une drôle de lubie :
collectionner les photos laissées près des photomatons…
Jusqu’au jour où il fit une drôle de découverte.

Voir sur Twitter L’inconnu du photomaton

Elle l’aimait quand il lui faisait croire qu’elle voyait comme tout le monde.

(Ou l’art des longs titres qui spoilent).


Rosalind Fox Solomon,
Blind Girl with Dolls,
South Africa, 1990

.

… Et n’avait pas attendu d’être amoureuse pour l’être.

.

Roger Rossell.

Le jour où…

– Le jour où je suis tombée amoureuse de Buster écrira-t-elle,
plus tard dans ses mémoires,
l’arrière grand-mère de Wispra.

.
On sent qu’elle est rentrée le soir chez elle
en racontant sa journée à sa coloc,
enthousiaste…
Ça aurait donné comme ceci
– Oh dear
(qu’elle aurait dit)
on a fait un truc génial aujourd’hui
(elle dirait « so amazing » bien sûr,
on est en Amérique),
il y avait Buster Keaton qui chantait et dansait
(singing and dancing),
avec Marion Shilling
(Quelle rime !)
Soit dit en passant,
elle danse comme un fer à repasser
(like an iron)
mais lui,
même avec son maquillage
et son costume tout ridicule,
C’qu’il est cute !
(minaudant et explorant , des yeux, le plafond)
Je l’ai même taquiné en tirant sa veste par derrière(*)
et je crois bien qu’il a regardé dans ma direction une ou deux fois par la suite…
Presque sûre,
presque ;
tu verrais son regard,
ses yeux !
Il en a deux…
Ce qu’ils sont beaux !
Both of them.
Et nous,
les girls,
tout le folklore qu’on s’est mis sur le dos,
des godillots,
je ne te dis que ça,
un morceau de goudron avec chaussettes et jupette ridicule…
Des danseuses grecques sans sirtaki,
en line dance ma fille.
Heureusement que ma mère ne voit pas ça,
du moins je l’espère.
(I hope so).
Et puis,
c’est pas tout,
lorsqu’il ressort de la boîte en clown pantin
t’aurais vu cette élégance,
cette souplesse,
ce lâcher prise…
Après, je suis allée dans sa loge et…
Devine ?
We have a date !
Un café demain.
Can’t wait !

.

Buster parlant
c’est tout une époque déjà,
de plus le garçon avait une assez belle voix et tenait l’air.
Pendant qu’il chante,
par contre,
je n’ai cessé de reluquer la petite à l’arrière plan
la deuxième en partant de la gauche,
qui fait tout le travail,
certainement boostée par Edward Sedgwick à la mise en scène
sur cette chorégraphie délicieusement désuète
aux costumes ridicules
c’est quasi la seule qui se démarque pour animer la troupe
surjouant un peu,
beaucoup,
passionnément ,
à peine,
buvant les paroles de Buster,
vraiment,
vivant le moment,
l’instant,
elle se la raconte,
se penche un peu plus,
joue du pied,
s’intéresse
coiffant au poteau, Marion Shilling,
qui est bien gentille,
mais bon.
Et à 1’52,
as-tu vu le regard discret du ceusse,
à la dérobade,
avant de tomber dans la boîte à malice laissant Marion,
quatre secondes plus tard continuer l’air
de sa petite voix chevrotante.

.
(*)Où elle lui tire la veste. juste avant la choré qui suit.

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