Archive for the 'E’ville fragments' Category
La troisième, ça me revient: on ne ment pas!
Quand elle m’en parlait,
elle m’interdisait de dire, jamais, quoi que ce soit sur la qualité du travail de ces hommes.
-Il n’y a pas plus courageux qu’eux, disait-elle.
Une gifle cinglante et efficace me le rappella un jour.
La ceinture et les « danses de cinq » du père n’étaient rien à côté.
On méprise trop souvent le « pouvoir pédagogique » des gifles
Elle, les cinq ou six siennes me restent en mémoire,
Une pour la couleur: c’était la principale!
… Du moment qu’on travaille, la couleur des gens on s’en (contre)fiche.
(Maintenant ça me revient, une deuxième (gifle) pour le travail… Plus tard.)
Les trois-quatre autres, je ne te dirai pas…
On est pas ici pour discuter de la qualité de l’enseignement.
Elle dirigeait le chargement-déchargement des wagons de matières premières
à la tête d’une équipe de vingt cinq travailleurs.
« Son » petit monde allait en cadence des wagons à l’entrepôt,
de l’entrepôt aux wagons toujours en chantant.
Au bout de six mois, son chef de travaux, un Français, la fit appeler dans son bureau
(pas pour ce que tu crois vieux cochon!)
et lui demanda si elle n’avait pas envie de travailler au laboratoire.
A seize ans, pourquoi pas?…
Mais sans diplomes,
du haut de ses trois pommes
elle ne voyait pas trop, non.
Et le monsieur, qui était chimiste et bon,
la prit sous son aile pour lui expliquer tests et mesures
afin d’éprouver la qualité d’un (bon) ciment…
Depuis l’argile calcareuse jusqu’au raffinement de la matière première
les prélèvements,
les manipulations,
les concentrations des différents éléments constitutifs…
Oxyde de fer, alumine, silice,
surveiller la teneur en souffre et en chlore
(les pires ennemis lors de la cuisson)
la température du clinker, etc.
Je ne vais pas te faire un cours.
Douze ans elle a passé la dedans!
Monsieur Porte était content.
C’était son nom, ça me revient.
Cependant mon grand père la surveillait du coin de l’oeil,
courir le guilledou, avec sa fille, ce n’était pas pour ce môssieur.
Un bon parti, sans doute,
mais marié et chasseur de surcroit.
Lui c’était la pêche.
Sous l’arbre, après la forge, roulant sa clope,
il la coupait en deux et la partageait avec l’ouvrier le plus méritant du jour.
Bwana Célestin c’était pas la chicotte sa carotte…
C’était la clope sous l’arbre à l’heure de la sieste.
N’empêche, ce « bon chimiste Français », il le surveillait.
Après sa journée, sa fille devait revenir à la maison aider sa mère
à faire le pain et les pâtisseries de la petite communauté blanche de Lubudi.
Modestes débuts.
De son enfance je sais peu de choses.
Elle fait partie de ces gens
qui n’avaient pour tout diplome que leurs mains.
Ne sachant que lire, écrire et compter (c’était le principal)
elle fut apprentie couturière à l’âge de douze ans.
Par le menu, conter son histoire, c’est du nanan.
En ’39, à seize ans elle débarque en Afrique;
mes grands parents à l’époque
s’étaient serrés la ceinture durant quatre ans
pour faire venir leur trois filles,
payant les billets aller-retour comme l’exigeait l’administration d’alors.
Grand père, après avoir bu trois maisons (c’était la crise)…
Bon! c’était des petites maisons ouvrières dans le pays noir, soit!
n’empêche il avait bu trois maison
dessous le comptoir de la brasserie qu’ils tenaient, sa femme et lui, « à la capitale »
(môme je me représentais le tableau, et j’arrivais pas à imaginer de « boire des maisons »,
plus tard en lisant Gargantua je me suis dit que c’était fort possible après tout).
Bon! je continue (j’en vois qui s’impatientent…)
Ruiné il fut obligé de tout quitter pour retourner en Afrique
(ce qui est un paradoxal, avouons-le…
« Pays noir-Afrique » vous me suivez…
Je n’attendrai pas toujours les retardataires quand le récit va s’emballer!)
Continent noir donc! où un contrat, dix ans auparavant, avait fait sa fortune…
Après la Perse où il était allé aussi (mais c’est encore une autre histoire, le caviar, les tapis, etc.)
D’où l’expression ne nous dispersons pas (je vous laisse réfléchir).
L’homme était forgeron et, d’après la légende familiale, savait confectionner toutes les pièces d’une locomotive.
T’imagine! grand père savait monter une locomotive à lui tout seul,
… Et pas une « Märklyn » je te prie de croire,
mécano de la générale avant l’heure.
L’homme aimait la pêche aussi…
Et péchait volontier, autre chose que le gougeon et la truite,
si je dois en croire un feu cousin qui était dans la confidence…
Grand mère n’en a jamais rien su, je pense, et leur filles non plus
Le bougre s’était arrangé pour sauter une génération et la mettre dans le secret…
avec tout ça l’heure tourne et j’ai un peu oublié ma mère dans l’histoire.
Bah! ce sera pour une autre fois.
Si je t’ai parlé du grand père, c’est qu’elle en avait une sainte frousse.
Tiens! ça mord!
Toute proportion gardée, chacun son mur.
Chacun ses murs,
moi c’est ceux du temps des boules de Berlin
que ma mère faisait à la cuisine.
Depuis que l’oiseau s’est envolé de la cage,
il revient visiter sa cellule.
Après la pièce à provisions
(si importante en cas « d’évènements »)
la buanderie et la cuisine
on passe à la chambre:
quatre mètres cinquante sur trois mètres et demi;
pas mal pour une chambre de gamin.
Les fenêtres possèdent des barreaux
(toujours les « évènements » et les vols,
… En ’65 forgeron était un métier d’avenir là bas)
je les ai connues d’abord sans et puis avecque,
(après trois cambriolages en six mois)
Il y avait là un lit, une bibliothèque et une armoire…
Dans celle ci les vêtements au dessus,
et quelques jouets en dessous…
Des bédés aussi, très peu, ça me revient.
Je les avais à prêter chez les enfants des copains de bridge de mon père.
Spartiate.
Les devoirs c’était au salon: il corrigeait ses copies face à moi,
je n’avais d’autre choix que de me rentrer l’algèbre
… Parce que la « danse de cinq » n’était jamais bien loin.
Pédagogue à l’athénée, mais pas chez lui.
Tu parles que je l’aimais bien mon manguier!