Archive for the 'lambeaux' Category

As time goes…

Cette parcelle d’intelligence du coeur,
vierge d’intentions mauvaises,
de tout soupçon de félonie,
ou de malignité…



Nous savions, nous, que c’était un jeu,
(profondément) persuadés que plus tard,
lorsque nous serions devenus grands,
on leur dirait,
à tous ces adultes,
ce qu’un enfant peut ressentir
d’une raclée injuste
ou du mensonge auquel,
bien malgré nous,
nous avions assisté ;
l’état de conscience extrême
de cette existence
de cet instant…
Ces mots qui n’existent pas encore,
hormis dans la tête,
déjà.
L’esprit.
Cette parcelle d’intelligence du coeur,
vierge d’intentions mauvaises,
de tout soupçon de félonie,
ou de malignité…
Attendre de grandir avant que…
D’oublier.

B , u ,r ,d , a… Un tissu de mensonges.


Point de feston, de piqûre, de surjet, matelassier…
Point de doute, c’était codé j’vous dis !
… A l’époque je ne me suis douté de rien.
Personne du reste !
je la voyais suivre de sa roulette les contours,
retracer et décalquer à la craie bleue, ronde et plate
les lignes sur le tissu,
découper les forme dans ce papier transparent et si fin
que l’on aurait dit du cristal au son métallique et cassant
je le briguais secrètement
épinglé au tissu, redécoupé puis rangé, la copie finie allait dans une chemise
avec la mention « robe du soir » ou « chemise Henri ».
Puis venait le faufilage avant le passage obligé entre l’aiguille et
la canette.
Les dératés de la Bernina et de sa courroie ,
ce vrombissement de méchante humeur,
surplace buté de « nonoss à son Médor »
grignant le tissu, niquant le surfilage
… Souvent à bout d’arguments et de fil la canette s’était tue,
… Il fallait la réapprovisionner.
la redémarrer en débloquant la roue à la main
le pied de biche, alors, avalait, tranquille, ses métrages
tantôt en zigzag, tantôt droit,
ou encore au point intermittent dans les côtes…
Allant son chemin sur des paysage de cotons, de soies ou de lins,
imprimés ou pas… Aux motifs de pays lointains,
de fleurs exotiques ou de carreaux sévères
explorant de nouveaux horizons chaque jour
le pied bichait !…
Du velour je te dis !
En réalité, tout cela était codé !
oui parfaitement vous avez bien lu : codé.
Vous vous souvenez certainement de cet article où je divulguais que ma mère était un agent secret.
Je viens d’en avoir la preuve pas plus tard qu’hier…
Mettant la main sur des documents ultra confidentiels et de la plus haute importance
(que je vais m’empresser de détruire pour ma sécurité et celle de mes proches )
il y est, en effet, question de pistes d’envol, numérotées, recensées
d’aéroports clandestins : son employeur ?
A treize ans approchée par les russes,
elle est formée en « usine de confection »
et elle les abandonne pour travailler en solo dans un laboratoire.
Puis « Burda »… (Des Allemands qui payaient mieux, sans doute, l’enrôlent,
retenant en otages la famille en Belgique
(nous ne l’avons su que plus tard )
nous étions alors en pleine guerre froide,
le mur venait d’être construit.
Ils faisaient passer leurs messages via d’innocentes revues de mode
où de belles aryennes aux sourires smarts
posaient dans des ensembles classiques
avec des dents à la blancheur éclatante
… Premiers émois prépubères, mais je m’égare.
Les avions et leurs cargaisons décollaient et atterrissaient,
à l’époque, pas loin de la plaine du Luano… A deux pas d’Elisabethville.
Une vieille boussole, qu’elle gardait en souvenir acheva aussi, de me convaincre que même la Chine l’avait approchée un temps…
Dans le carton à couture découvert sous l’escalier dans les lattes du plancher
de curieuses petites figurines, qui servaient sans doute aux signaux morses lors des atterrissages, étaient encore, là, rangées…
Un vieux film 8 millimètres dont je livre le contenu (sous le sceau du secret ) atteste de l’existence de ces pistes.
Quelle couverture son fameux « patron Burda » !
« B ,u ,r ,d ,a « 
bu R. D. A.
… Les communistes,
une doublure, oui!…
C’était vraiment quelqu’un ma mère !

Ampoules et hélicoptère. from luc lamy on Vimeo.

.
(Piqûre de rappel, paru précédemment chez Anna de Sandre dans le cadre des vases com.).

Le petit jardin malade (III).


.
Oeil jaune paille
presque transparent
maquereau réincarné félin
recroquevillée sous l’escalier
robe tigrée
gris sur gris
elle attend la fin de cette mascarade
celle de ce Tanguy dédoublé
amputé du coeur
la coursant
de sa flamme bleue
dans la cave
si d’aventure elle s’y planque
… Ou du vieux,
dans sa bulle d’amertume,
comme indifférent au monde
lui marchant trop souvent dessus.
Elle a tout vu la chatte
elle a tout vu
du bordel
de l’odeur pestilentielle
antre d’ours !
lente descente
abandon du père
et des repères
amères déceptions
elle est où ta mère ?
.
D’un coup lorsque l’autre est apparu
après longtemps d’absence
une lueur dans son oeil
s’est installée
promesse d’un ailleurs
à celui-là
elle allait tout donner
elle serait là
immensément là
là et pas ailleurs
elle ne pouvait pas parler
mais elle avait tout vu
elle lui raconterais
par son oeil
jaune paille.
L’hypnotiser…
Elle en avait encore le trop maigre pouvoir
Le magnétiser afin qu’il l’emmène loin d’ici.
Prête pour le voyage.
Exil mérité.
Elle terminerait sa vie auprès du fils prodigue
tombé amoureux d’elle
comme de ses chevaux,
ses poules, ses oies, ses canards…
Sa maison.
Cette maison qui sentirait bon le pain et le café… Comme avant.
Comme avant.
Lui jeter un sort afin qu’il l’y emmène
loin d’ici.
Prête pour le voyage.
Exil mérité
elle avait tout retenu
de la mémoire de la mère.
Elle lui raconterait
par son oeil jaune paille.
Qu’il le veuille ou non.
.
Plus de chalumeau,
non,
plus de chalumeau.

… Et tu me demandes si j’ai connu Eva ?

Que je te parle de ses « R » qu’elle roulait,
de sa voix rauque et basse comme personne,
vieux restes de cette vie passée en Russie,
en Ukraine plus exactement, trente-cinq ans !…
Au milieu de ses napperons, patchworks bigarrés recouvrant les fauteuils, tu avais du mal à te frayer un chemin entre la table, les chaises et les armoires vitrées abritant tout son petit monde de poupées en robes traditionnelles rouge-vert-blanc faisant la nique aux matriochkas stupides et impavides…
Les dentelles des unes contre le bois vernissé des autres.
Toutes dans leur étrange silence d’apparat… Attendaient.
Tu écoutais en silence cette femme presque octogénaire qui faisait encore des « ménages » dans les ambassades et qui, cousine germaine de mon grand-père, connaissait toute la généalogie de la famille : la mémoire des différents hurluberlus, loustics et asticots excentriques qui s’étaient perdus en Amérique au moment de la ruée vers l’or, montreurs d’animaux, de puces savantes ou de papillons rares, anarchistes à la petite semaine ou bandit mourant dans une fusillade de saloon de l’Arkansas plutôt qu’à Seraing
Mais là, je m’égare… Faut me le dire ! C’est une autre histoire !… Une autre fois peut être…
Eva retournait encore en Russie tous les deux ans, les bras chargés de cadeaux pour « sa » belle-famille, les valises bourrées de jeans, de t-shirts, de café, de cassonade, de chocolats pour donner à plus pauvre et démuni qu’elle… Sainte femme !
Elle avait encore de ce pays, de ces gens, le sang, la générosité, l’abnégation, l’art du partage…
Et en plein hivers te faisait goûter ton premier caviar et tes seize ans s’arrosaient de sa meilleure vodka planquée au freezer au côté de petites soeurs à explorer…
Le liquide huileux partait coloniser les moindres recoins et papilles de l’estomac avant que de remonter en effluves charmeuses à la tête et dans les idées.
Le teppaz, lui, sciait les refrains pourris et sourds des coeurs de l’armée rouge…
Les matriochkas entamaient alors une danse envoutante au son de cette lente mélopée des steppes… Les autres poupées emboîtaient le pas de bonne grâce.
« Step by step » tu sombrais…
Jivago allait débarquer dans les cinq minutes et tu tomberais éperdument amoureux de Julie Christie.
L’autre te resservait du breuvage magique et, le caviar du début n’était plus qu’un lointain souvenir, quand un bortsch roboratif arrivait à sa rescousse pour éponger l’alcool ingurgité jusque là…
Eva gérait… Le bortsch était resservi jusqu’à plus.
Les petits yeux de gras te mataient comme te disant
– Nous allons colmater les brèches de l’alcool… Il faut que tu aies confiance !
C’est alors que l’autre te sortait sa botte secrète…
Ses pâtisseries sucrées empruntées à l’Orient, à la Turquie…
Baklawas et gâteaux au miel, à la pistache ou aux amandes,
kataïfis à chevelure d’anges et dragées bourgeonnaient comme par enchantement,
sur sa nappe fleurie…
Pour venir au secour du bortsch, toujours, voyons !…
Les matriochkas, elles, dansaient floues et nues à présent…
Tu percevais ce que la vie de cette femme avait été entre les révolutions et les guerres civiles les disettes et les pertes successives d’êtres chers…
Elle s’était mariée très tôt à un russe blanc, une fille et un garçon avaient vu le jour, puis…
La famine, le marché noir, la viande avariée dont il était préférable de ne pas savoir la provenance… Peut être ton voisin de palier disparu deux semaines plus tôt, débité en aimables escalopes et vendu quelques centaines de roubles pour changer du chat ou du rat.
Cette vie et celle de son mari (trop peu connu et tué par les rouges) de son fils « noyé » dans la Volga (les rouges encore)… Elle en avait laissé son coeur là bas pour n’en ramener que l’âme mais quelle âme !…
Du Slave en branche, à l’état brut, la générosité même, le bonheur des choses simples, l’esprit libre et moderne… Elle n’avait pas attendu ’68 pour faire « sa » révolution.
Ne s’était pas remariée mais avait eu des amants…
Pas beaucoup mais jamais aucun n’était arrivé à la cheville de Son Prince !
Libre elle était, morigénant gentiment de sa voix (Ô sa voix !) les parents en leur disant que le « petit » avait bien le droit de faire des bêtises, d’avoir des petites amies, de faire sa vie, de voir du pays.
Les maudites poupées callipyges et gigognes,
de plus en plus floues, se multipliaient,
sortant les une des autres,
se reproduisant à l’infini…
Eponger l’alcool…
Reprendre un kataïfi,
toutes ces Rididines continuant leurs danses derrière la vitrine.
A présent Julie Christie se détachait nettement du lot et s’approchait…
Je crois que ce fut mon premier coma éthylique.
Eva était aux anges, elle était parvenue à éloigner les parents ;
ils étaient rentrés, quelque peu inquiets et j’avais dormi dans le canapé chamarré aux couleurs de mon estomac, lui qui se refusait à rendre toutes ces choses ingurgitées au nom de la révolution d’octobre.
A présent elle me faisait du café noir et du pain perdu cuit au beurre de sel arrosé de cassonade brune pour me remettre d’aplomb… Qu’elle disait.
M’invitant à revenir avec mon amie…
Et si j’en avais une autre ou plus,
ce n’était pas un problème…
On se verrait plusieurs fois…
– Après tout, l’amour c’est comme les chaussures, il faut en essayer plusieurs avant de savoir celles qui te vont le mieux… Non ?
Elle avait encore mal aux pieds d’avoir recherché « un amour » tel que son russe blanc.
… Et tu me demandes si j’ai connu Eva ?

(Tatiana à l’Union, 2010).

Dernier portrait.

Inspire
.
Litanie oscillatoire
Tic-tac respiratoire
Remonte à la nuit
Parle aux grands-parents
partis depuis longtemps déjà
Revenant au ventre de sa conception
Elle fait « son petit travail »
Balbutiant
Psalmodiant
Incantatoire
Chamanique
Occupée à…
Tranquille

.

.
Cire froide
nécrose
mains roides
pouls absent
rides
crevasses
et ravins
s’organisent en dissymétries trompeuses
empêchant toute relation ;
ce visage calme
sévère
et contrarié
je ne le connais pas.
Je ne le reconnais plus.

Expire

Acompte de la maladie ?
Plus de crédit
larmes sèches désormais.
Larmes sèches.

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