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Incipit mais non sans saveur… (II)


(Photo du héros ci-après, un peu floue il est vrai, mais j’étais trop fatigué pour faire la mise au point).
.
Je voulais vous demander, depuis hier, ça s’est bien passé pour vous ?…
(Quel suspense hein ?)
… En plus je viens seulement de comprendre le titre !
Quel fou je fais !
Mais il faut absolument que je vous restitue la dramaturgie des évènements qui s’enchaînent…
Donc j’étais en train de zapper, un de ces soirs de solitude,
après le boulot qui vous a pompé toute forme d’énergie pour faire autre chose,
lorsque je tombe sur un documentaire avec pour sujet,
cet animal extrêmement sympathique et sale
qui passe le plus clair de son temps à écouter pousser ses cheveux
et observer les mousses et lichens s’accrocher à ses poils,
qu’il a longs de plus.
J’ai nommé :
le paresseux.
Quasiment immobile,
pendu par les pattes à une branche,
basse la branche de préférence,
il s’occupe à faire semblant d’étudier le dessous des feuilles comme le jeune Sous-Préfet aux champs de l’histoire…
Accroché dans la mangrove à sa branche basse par les griffes
qu’il a longues, celles-ci sont un peu utilisées à la façon d’esses de boucher…
Notre bonhomme passe sa vie dans une sieste perpétuelle,
sorte de Gaston sans Prunelle ni bureau et si d’aventure (sic)
il se réveille de sa torpeur
c’est pour mâchonner quelques pousses glanées de ci de là,
tendres de préférence…
Car il déteste abuser du pouvoir masticatoire de ses molaires…
Incisives et canines sont en effet absentes chez ce doux représentant de l’édredon,
fatiguées peut être, au cours d’une évolution fort longue, elles sont tombées d’ennui…
Ou par excès de lucidité, allez savoir !
Le British commentaire ne tari pas d’éloges sur l’animal et c’est alors que l’équipe du National Geographic passe, par le miracle du montage, à un autre représentant de l’espèce,
un peu plus loin,
comme le premier juché sur un tronc
mais à quatre mètre du sol, cette fois,
tronc qu’il est occupé à gravir dans un sursaut que seule la faim (qui justifie souvent les moyens) explique…
C’est parfait pour ma soirée, je me reverse une lichette de cet excellent Aloxe Corton par des amis offert.
La clairière est accueillante,
un tronc d’arbre fatigué de la verticalité gît en travers de la verdure,
la lumière est belle,
l’endroit bucolique et champêtre…
Faut-il ajouter que les oiseaux chantent pour vous convaincre ?
L’animal est occupé à sa tâche d’alpiniste, centimètre après centimètre, quand vient à passer un léopard ou une panthère…
Quatre mètres plus bas…
Le félin regarde aussi les cimes avec d’autres idées…
Et, à la vue du aï (autre nom du fainéant d’en haut) son idée est faite :
le croissant du matin est là…
Offert par la maison canopée.

Mais voila que le téléphone sonne,
il faut que je réponde.
Je reviens tutt’d’z’uittt’

RrrrooohhhHHH !!!
Cet Oban !
RrrrooohhhHHH !!!
Ce suspense !

(à suivre dans « Incipit mais non sans saveur… (III suite et fin).

Incipit mais non sans saveur…



L’ambiance retombait un peu et les conversations se délitaient sur les sujets les plus divers
C’est alors qu’on en vint à parler des documentaires animaliers, comme seuls les Anglais peuvent en faire… Capables, qu’ils sont les bougres, de suivre une familles de souris dans les combles d’une maison lambda appartenant à un petit ménage de la middle-class du Yorkshire…
Madame O’Lambda fait la vaisselle, le repassage et le ménage,
pendant que monsieur lit « Time » en fumant un cigare et sirotant un « ouiseky » au salon
et les enfants jouent dans leurs chambres cependant qu’une petite famille,
monsieur et madame souris,
eux,
s’occupent d’approvisionner leur progéniture,
une portée « so cute » de petits souriceaux tous plus mimis les uns que les autres…
Surtout le petit gris foncé à gauche, you know.
(Rien que du normal dirait mon ami Pluplu qui peut se montrer goujat lorsqu’il s’agit des vraies valeurs de la famille…)
On est capturé, pris au filet, pas question de zapper et on ne répond plus au téléphone…
Cette famille souris, les Cheese qui squatte chez les O’Lambda,
EST EXTRAORDINAIRE !…
Point barre.
On aurait voulu naître souris !
Les Anglais peuvent faire pareil avec une famille de mulots, le célibat du ver solitaire ou un groupe de hyènes, de lycaons ou de castors…
Vous l’aurez deviné, ami lecteur…
(Je peux vous appeler comme ça maintenant que nous avons pris langue l’autre fois…)
Vous l’aurez deviné, disai-je, j’adore ce genre de documentaire et tire mon chapeau à la perfide Albion pour cette peinture des vraies valeurs… Pluplu, tu vas encore dire une bêtise !
Or donc, j’en avais une dans ma besace… Pas une peinture, une histoire animalière, vue dans un documentaire sur…
Mais il est trop tôt pour vendre la mèche.
Pour peu que j’arrivasse à restituer la trame et le suspense de la situation qui allait faire se tordre de rire l’assemblée cela me vaudrait une tournée de cet excellent Oban dont je lorgnais le niveau de plus en plus (dangereusement) bas…
Je ne pouvais me résoudre à passer au Johnnie Walker ni même à l’Ainslies…
Quelle horreur !
Ce fond d’Oban, il me le fallait !…
à moins qu’on n’apportasse sur le champs un Lagavuline
ou la petite soeur de la dite boutanche
(oui, à cette heure-ci je dis « boutanche »…
Gna kékun kgne ça déhanche ?)
Je ne me voyais pas terminer autrement que propriétaire
de la dernière lampée de ce divin breuvage tourbé.
Voici donc une histoire racontée
il y a de cela très longtemps
au cours de cette soirée arrosée plus que de raison,
hélas,
à une assemblée hilare et un peu conquise à l’avance
vu le taux d’alcoolémie général…
Ma mission ?
Raconter l’histoire…
Eviter le bide !
L’Oban m’attendait !

Mais je vois l’heure qui passe
et on sonne à la porte…
Je dois aller ouvrir…
Sans doute Rididine qui revient des courses au supermarché du coin…
Bougez pas j’arrive !

Voila que ça sonne une deuxième fois
Serait-ce le facteur, alors ?

(On est dans l’incipit ou on ne l’est pas !)
.
(à suivre).
……………………………………………………………………………………………………………………….

Bientôt Noël, je m’entraine à faire des petits contes.

Indifférent à la foule,
celle de ces grands magasins
illuminés comme des bordels
pour les fêtes,
le petit bonhomme faisait voguer,
à bout de bras,
son petit navire fait d’une noix
et d’un tout petit bout de tissu
Il s’en allait,
ainsi,
chantant à tue-tête
sa rengaine magnifique,
Ohé ! Ohé ! mâtelooooOOOt !!!
Matelot naviiigue sur les flooOOts…

martelant ses galoches sur le pavé,
Pic ! Pac ! Pouc !
les congères molles des bordures…
Plif ! Plaf ! Plouf !
la neige sale de l’asphalte…
Flitch ! Flatch ! Floutch !
Les flaques froides et glacées du goudron,
Chlip’ ! chlap’ ! Chloup’ !
et P A F !
Il ne vit pas la voiture…

La voix smart et nasillarde du haut parleur dans le « grand magasin » d’à côté annonça :
– Le petit Arthur est attendu par sa maman à l’accueil, au rez-de-chaussée,
je répète :
– Le petit Arthur est attendu…
Et la voix fut couverte par
le bleu électrique intermittent d’une sirène,
au hululement inutile déjà.



Ce qui, pour un conte de Noël,
est assez triste, en somme,
j’en conviens…
Mais vous me connaissez…
J’adore raconter des histoires
et peut être que celle-ci n’est encore,
une fois,
que le fruit de mon imagination,
allez savoir ?

Le vieux garagiste.


.
Couvre-feu.
Quinze raflés.
Comme les autres,
tous blancs
sauf Ilunga,
son mécano,
mort aussi.
Lui se souvenait de cette nuit noire.
Ce froid ravivait ses vieilles blessures.
Pangolin bizarre et hagard
Nu
Fuyant
Sur les coudes
Sur les genoux
Douleurs
Ramper
Ramper
Loin du massacre
Le grand Grec leur résistait
à deux ils s’y étaient mis
Crosse
Coupe-coupe
Battus à mort
Plus de chevilles
Ni de poignets
Cassés
ou plutôt
broyés dans ce camion
Route
Forêt
cours d’eau
voie ferrée
jeep
des militaires aussi
L’avaient emmené
au dispensaire de Lubum.
sans savoir ce qu’il avait vu
Un blanc de soixante-dix ans
nu et à quatre pattes
c’était pas ordinaire…
Ils le feraient parler à l’hosto
Quatorze morts
Seul lui…
Rescapé.
Grâce au grand Grec…
Ami de la famille.
Pour se souvenir.
Pour se souvenir
(bis)
… Et vous me demandez pourquoi ?
Ils sont partis en Août ’67
pour ne plus jamais revenir
(sauf un, il y a peu)
Leurs trois gosses
onze ans,
trois ans
et six mois.
Pour ce souvenir.
Pour ce souvenir
(bis).

… Et tu me demandes si j’ai connu Eva ?

Que je te parle de ses « R » qu’elle roulait,
de sa voix rauque et basse comme personne,
vieux restes de cette vie passée en Russie,
en Ukraine plus exactement, trente-cinq ans !…
Au milieu de ses napperons, patchworks bigarrés recouvrant les fauteuils, tu avais du mal à te frayer un chemin entre la table, les chaises et les armoires vitrées abritant tout son petit monde de poupées en robes traditionnelles rouge-vert-blanc faisant la nique aux matriochkas stupides et impavides…
Les dentelles des unes contre le bois vernissé des autres.
Toutes dans leur étrange silence d’apparat… Attendaient.
Tu écoutais en silence cette femme presque octogénaire qui faisait encore des « ménages » dans les ambassades et qui, cousine germaine de mon grand-père, connaissait toute la généalogie de la famille : la mémoire des différents hurluberlus, loustics et asticots excentriques qui s’étaient perdus en Amérique au moment de la ruée vers l’or, montreurs d’animaux, de puces savantes ou de papillons rares, anarchistes à la petite semaine ou bandit mourant dans une fusillade de saloon de l’Arkansas plutôt qu’à Seraing
Mais là, je m’égare… Faut me le dire ! C’est une autre histoire !… Une autre fois peut être…
Eva retournait encore en Russie tous les deux ans, les bras chargés de cadeaux pour « sa » belle-famille, les valises bourrées de jeans, de t-shirts, de café, de cassonade, de chocolats pour donner à plus pauvre et démuni qu’elle… Sainte femme !
Elle avait encore de ce pays, de ces gens, le sang, la générosité, l’abnégation, l’art du partage…
Et en plein hivers te faisait goûter ton premier caviar et tes seize ans s’arrosaient de sa meilleure vodka planquée au freezer au côté de petites soeurs à explorer…
Le liquide huileux partait coloniser les moindres recoins et papilles de l’estomac avant que de remonter en effluves charmeuses à la tête et dans les idées.
Le teppaz, lui, sciait les refrains pourris et sourds des coeurs de l’armée rouge…
Les matriochkas entamaient alors une danse envoutante au son de cette lente mélopée des steppes… Les autres poupées emboîtaient le pas de bonne grâce.
« Step by step » tu sombrais…
Jivago allait débarquer dans les cinq minutes et tu tomberais éperdument amoureux de Julie Christie.
L’autre te resservait du breuvage magique et, le caviar du début n’était plus qu’un lointain souvenir, quand un bortsch roboratif arrivait à sa rescousse pour éponger l’alcool ingurgité jusque là…
Eva gérait… Le bortsch était resservi jusqu’à plus.
Les petits yeux de gras te mataient comme te disant
– Nous allons colmater les brèches de l’alcool… Il faut que tu aies confiance !
C’est alors que l’autre te sortait sa botte secrète…
Ses pâtisseries sucrées empruntées à l’Orient, à la Turquie…
Baklawas et gâteaux au miel, à la pistache ou aux amandes,
kataïfis à chevelure d’anges et dragées bourgeonnaient comme par enchantement,
sur sa nappe fleurie…
Pour venir au secour du bortsch, toujours, voyons !…
Les matriochkas, elles, dansaient floues et nues à présent…
Tu percevais ce que la vie de cette femme avait été entre les révolutions et les guerres civiles les disettes et les pertes successives d’êtres chers…
Elle s’était mariée très tôt à un russe blanc, une fille et un garçon avaient vu le jour, puis…
La famine, le marché noir, la viande avariée dont il était préférable de ne pas savoir la provenance… Peut être ton voisin de palier disparu deux semaines plus tôt, débité en aimables escalopes et vendu quelques centaines de roubles pour changer du chat ou du rat.
Cette vie et celle de son mari (trop peu connu et tué par les rouges) de son fils « noyé » dans la Volga (les rouges encore)… Elle en avait laissé son coeur là bas pour n’en ramener que l’âme mais quelle âme !…
Du Slave en branche, à l’état brut, la générosité même, le bonheur des choses simples, l’esprit libre et moderne… Elle n’avait pas attendu ’68 pour faire « sa » révolution.
Ne s’était pas remariée mais avait eu des amants…
Pas beaucoup mais jamais aucun n’était arrivé à la cheville de Son Prince !
Libre elle était, morigénant gentiment de sa voix (Ô sa voix !) les parents en leur disant que le « petit » avait bien le droit de faire des bêtises, d’avoir des petites amies, de faire sa vie, de voir du pays.
Les maudites poupées callipyges et gigognes,
de plus en plus floues, se multipliaient,
sortant les une des autres,
se reproduisant à l’infini…
Eponger l’alcool…
Reprendre un kataïfi,
toutes ces Rididines continuant leurs danses derrière la vitrine.
A présent Julie Christie se détachait nettement du lot et s’approchait…
Je crois que ce fut mon premier coma éthylique.
Eva était aux anges, elle était parvenue à éloigner les parents ;
ils étaient rentrés, quelque peu inquiets et j’avais dormi dans le canapé chamarré aux couleurs de mon estomac, lui qui se refusait à rendre toutes ces choses ingurgitées au nom de la révolution d’octobre.
A présent elle me faisait du café noir et du pain perdu cuit au beurre de sel arrosé de cassonade brune pour me remettre d’aplomb… Qu’elle disait.
M’invitant à revenir avec mon amie…
Et si j’en avais une autre ou plus,
ce n’était pas un problème…
On se verrait plusieurs fois…
– Après tout, l’amour c’est comme les chaussures, il faut en essayer plusieurs avant de savoir celles qui te vont le mieux… Non ?
Elle avait encore mal aux pieds d’avoir recherché « un amour » tel que son russe blanc.
… Et tu me demandes si j’ai connu Eva ?

(Tatiana à l’Union, 2010).

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