Six mois de ma vie pour avoir ses yeux vingt quatre heures!

Quoi de plus naturel que de prendre, pour illustrer mon propos, un « verre » de Roland Jadinon?…
Quel meilleur pastel pourrait mettre de la couleur dans cette grisaille et servir ce texte de Ponge?
(oui, Ponge, encore, je sais!)
Evidemment que Roland s’en est inspiré par la suite et avec quel bonheur!
autant de verres d’eau que d’instants d’observation, de contemplation.
Le temps s’arrête, l’eau étale dedans le récipient livre le secret des couleurs qui s’y réfléchissent:
à force de silence dans le regard,
l’espace dans lequel on se trouve se concentre tout entier dans ce microcosme transparent, cette « boule à neige » immobile.
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(Roland Jadinon, avril 2000).
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Le verre d’eau
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Le mot V E R R E D ’ E A U serait en quelque façon adéquat à l’objet qu’il désigne…
Commençant par un v, finissant par un u, les deux seules lettres en forme de vase
ou de verre.
Par ailleurs, j’aime assez que dans V E R R E, après la forme (donnée par le V), soit donnée la matière par les deux syllabes E R R E, parfaitement symétriques comme si, placées de part et d’autre de la paroi du verre, l’une à l’intérieur, l’autre à l’extérieur, elles se reflétaient l’une en l’autre.
Le fait que la voyelle utilisée soit la plus muette, la plus grise, le E, fait également très adéquat.
Enfin, quant à la consonne utilisée, le R, le roulement produit par son redoublement
est excellent aussi, car il semble qu’il suffirait de prononcer très fort ou très intensément le mot V E R R E en présence de l’objet qu’il désigne pour que, la matière de l’objet violemment secouée par les vibrations de la voix prononçant son nom, l’objet lui-même vole en éclats. (Ce qui rendrait bien compte d’une des principales propriétés du verre : sa fragilité.)
Ce n’est pas tout.
Dans V E R R E D ’ E A U, après V E R R E (et ce que je viens d’en dire) il y a E A U. Eh bien, E A U à cette place est très bien aussi : à cause d’abord des voyelles qui le forment. Dont la première, le E, venant après celui répété qui est dans V E R R E, rend bien compte de la parenté de matière entre le contenant et le contenu, – et la seconde, le A (le fait aussi que comme dans OE I L il y ait là diphtongue suivie d’une troisième voyelle) – rend compte de l’oeil que la présence de l’eau donne au verre qu’elle emplit (l’oeil, ici, au sens de lustre mouvant, de poli mouvant). Enfin, après le côté suspendu du mot V E R R E (convenant bien au verre vide), le côté lourd, pesant sur le sol, du mot E A U fait s’asseoir le verre et rend compte de l’accroissement de poids (et d’intérêt) du verre empli d’eau. J’ai donné mes louanges à la forme du u.

(Francis Ponge, Le Grand Recueil)

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Ceux qui voudraient en savoir plus sur ce grand modeste qu’est Roland peuvent aller voir aux pages 12,13 et 14 de cette interview recueillie par un collègue.
« … Précision du regard, jeu
de tensions chromatiques,
sensualité de la matière,
générosité dans la recherche,
il souligne ce que nous ne
parvenons plus à voir dans
notre environnement quotidien».

Miroir, ô mon beau miroir…


à une faïence pareille, niveau réflection, Nadia aurait fait passer une psyché, des années ’30, pour une aimable plaisanterie.
N’ayant pas un physique avantageux, lucide, elle se demandait si son amant lui était plus attaché pour l’image qu’elle lui donnait, au travers de cet épiderme unique, plutôt que pour cet héritage de vieille souche Austro-Hongroise…
Pendant qu’il s’y mirait, Nadia réfléchissait.