Archive for the 'rapport au sol' Category

Le petit jardin malade (III).


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Oeil jaune paille
presque transparent
maquereau réincarné félin
recroquevillée sous l’escalier
robe tigrée
gris sur gris
elle attend la fin de cette mascarade
celle de ce Tanguy dédoublé
amputé du coeur
la coursant
de sa flamme bleue
dans la cave
si d’aventure elle s’y planque
… Ou du vieux,
dans sa bulle d’amertume,
comme indifférent au monde
lui marchant trop souvent dessus.
Elle a tout vu la chatte
elle a tout vu
du bordel
de l’odeur pestilentielle
antre d’ours !
lente descente
abandon du père
et des repères
amères déceptions
elle est où ta mère ?
.
D’un coup lorsque l’autre est apparu
après longtemps d’absence
une lueur dans son oeil
s’est installée
promesse d’un ailleurs
à celui-là
elle allait tout donner
elle serait là
immensément là
là et pas ailleurs
elle ne pouvait pas parler
mais elle avait tout vu
elle lui raconterais
par son oeil
jaune paille.
L’hypnotiser…
Elle en avait encore le trop maigre pouvoir
Le magnétiser afin qu’il l’emmène loin d’ici.
Prête pour le voyage.
Exil mérité.
Elle terminerait sa vie auprès du fils prodigue
tombé amoureux d’elle
comme de ses chevaux,
ses poules, ses oies, ses canards…
Sa maison.
Cette maison qui sentirait bon le pain et le café… Comme avant.
Comme avant.
Lui jeter un sort afin qu’il l’y emmène
loin d’ici.
Prête pour le voyage.
Exil mérité
elle avait tout retenu
de la mémoire de la mère.
Elle lui raconterait
par son oeil jaune paille.
Qu’il le veuille ou non.
.
Plus de chalumeau,
non,
plus de chalumeau.

… Et tu me demandes si j’ai connu Eva ?

Que je te parle de ses « R » qu’elle roulait,
de sa voix rauque et basse comme personne,
vieux restes de cette vie passée en Russie,
en Ukraine plus exactement, trente-cinq ans !…
Au milieu de ses napperons, patchworks bigarrés recouvrant les fauteuils, tu avais du mal à te frayer un chemin entre la table, les chaises et les armoires vitrées abritant tout son petit monde de poupées en robes traditionnelles rouge-vert-blanc faisant la nique aux matriochkas stupides et impavides…
Les dentelles des unes contre le bois vernissé des autres.
Toutes dans leur étrange silence d’apparat… Attendaient.
Tu écoutais en silence cette femme presque octogénaire qui faisait encore des « ménages » dans les ambassades et qui, cousine germaine de mon grand-père, connaissait toute la généalogie de la famille : la mémoire des différents hurluberlus, loustics et asticots excentriques qui s’étaient perdus en Amérique au moment de la ruée vers l’or, montreurs d’animaux, de puces savantes ou de papillons rares, anarchistes à la petite semaine ou bandit mourant dans une fusillade de saloon de l’Arkansas plutôt qu’à Seraing
Mais là, je m’égare… Faut me le dire ! C’est une autre histoire !… Une autre fois peut être…
Eva retournait encore en Russie tous les deux ans, les bras chargés de cadeaux pour « sa » belle-famille, les valises bourrées de jeans, de t-shirts, de café, de cassonade, de chocolats pour donner à plus pauvre et démuni qu’elle… Sainte femme !
Elle avait encore de ce pays, de ces gens, le sang, la générosité, l’abnégation, l’art du partage…
Et en plein hivers te faisait goûter ton premier caviar et tes seize ans s’arrosaient de sa meilleure vodka planquée au freezer au côté de petites soeurs à explorer…
Le liquide huileux partait coloniser les moindres recoins et papilles de l’estomac avant que de remonter en effluves charmeuses à la tête et dans les idées.
Le teppaz, lui, sciait les refrains pourris et sourds des coeurs de l’armée rouge…
Les matriochkas entamaient alors une danse envoutante au son de cette lente mélopée des steppes… Les autres poupées emboîtaient le pas de bonne grâce.
« Step by step » tu sombrais…
Jivago allait débarquer dans les cinq minutes et tu tomberais éperdument amoureux de Julie Christie.
L’autre te resservait du breuvage magique et, le caviar du début n’était plus qu’un lointain souvenir, quand un bortsch roboratif arrivait à sa rescousse pour éponger l’alcool ingurgité jusque là…
Eva gérait… Le bortsch était resservi jusqu’à plus.
Les petits yeux de gras te mataient comme te disant
– Nous allons colmater les brèches de l’alcool… Il faut que tu aies confiance !
C’est alors que l’autre te sortait sa botte secrète…
Ses pâtisseries sucrées empruntées à l’Orient, à la Turquie…
Baklawas et gâteaux au miel, à la pistache ou aux amandes,
kataïfis à chevelure d’anges et dragées bourgeonnaient comme par enchantement,
sur sa nappe fleurie…
Pour venir au secour du bortsch, toujours, voyons !…
Les matriochkas, elles, dansaient floues et nues à présent…
Tu percevais ce que la vie de cette femme avait été entre les révolutions et les guerres civiles les disettes et les pertes successives d’êtres chers…
Elle s’était mariée très tôt à un russe blanc, une fille et un garçon avaient vu le jour, puis…
La famine, le marché noir, la viande avariée dont il était préférable de ne pas savoir la provenance… Peut être ton voisin de palier disparu deux semaines plus tôt, débité en aimables escalopes et vendu quelques centaines de roubles pour changer du chat ou du rat.
Cette vie et celle de son mari (trop peu connu et tué par les rouges) de son fils « noyé » dans la Volga (les rouges encore)… Elle en avait laissé son coeur là bas pour n’en ramener que l’âme mais quelle âme !…
Du Slave en branche, à l’état brut, la générosité même, le bonheur des choses simples, l’esprit libre et moderne… Elle n’avait pas attendu ’68 pour faire « sa » révolution.
Ne s’était pas remariée mais avait eu des amants…
Pas beaucoup mais jamais aucun n’était arrivé à la cheville de Son Prince !
Libre elle était, morigénant gentiment de sa voix (Ô sa voix !) les parents en leur disant que le « petit » avait bien le droit de faire des bêtises, d’avoir des petites amies, de faire sa vie, de voir du pays.
Les maudites poupées callipyges et gigognes,
de plus en plus floues, se multipliaient,
sortant les une des autres,
se reproduisant à l’infini…
Eponger l’alcool…
Reprendre un kataïfi,
toutes ces Rididines continuant leurs danses derrière la vitrine.
A présent Julie Christie se détachait nettement du lot et s’approchait…
Je crois que ce fut mon premier coma éthylique.
Eva était aux anges, elle était parvenue à éloigner les parents ;
ils étaient rentrés, quelque peu inquiets et j’avais dormi dans le canapé chamarré aux couleurs de mon estomac, lui qui se refusait à rendre toutes ces choses ingurgitées au nom de la révolution d’octobre.
A présent elle me faisait du café noir et du pain perdu cuit au beurre de sel arrosé de cassonade brune pour me remettre d’aplomb… Qu’elle disait.
M’invitant à revenir avec mon amie…
Et si j’en avais une autre ou plus,
ce n’était pas un problème…
On se verrait plusieurs fois…
– Après tout, l’amour c’est comme les chaussures, il faut en essayer plusieurs avant de savoir celles qui te vont le mieux… Non ?
Elle avait encore mal aux pieds d’avoir recherché « un amour » tel que son russe blanc.
… Et tu me demandes si j’ai connu Eva ?

(Tatiana à l’Union, 2010).

Exclusivement !



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Deux des trop rares photos de mon ami Pluplu et de moi-même avant que les évènements…

Jamais quatre sans quatre.


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Dans la vieille 404 à benne, sur la banquette couleur chocolat éventrée par les ciseaux de taille, je tourne le large volant en bakélite, si grand que je peux mettre ma tête dedans. Autour de moi, l’odeur fauve du vigneron, un relent de vinasse aussi me coulent sur les épaules. Je suis entre ses cuisses, mes petites fesses calées, les bras tendus sur le lion au centre, je klaxonne.

Fier de conduire l’engin sur les chemins de terre, ceux qui nous conduisent aux vignes hautes. Piste caillouteuse, la direction ripe, ses mains déjà craquelées rattrapent la direction d’un coup sec qui fait lever les miennes. Il me rattrape, me serre la tête dans ses avant-bras, mon guide. La route avec lui, l’aventure, nous partons à l’assaut des coteaux. Débrayage, patinage, le pédalier est à lui, il dompte les chevaux-vapeurs qui vrombissent. La côte à deux, à moi le volant qui braque, à lui les manettes qui grincent, levier de vitesse au volant, il pilote, descend, monte les rapports, arbre à cames qui coince et mes palpitations d’enfant qui débrayent. Jubilation.

Dévers important, le danger et l’interdit en impression, le fossé en contre-bas, je tends les bras encore plus fort, tétanise des coudes et serre les dents sur ma posture : tenir droit le volant, ne pas lâcher, un faux mouvement et on dévale. Un petit pont branlant en pierres romaines, passage difficile, en dessous un cours d’eau asséché, il faut passer en première, viser juste entre les parapets sinon… Et lui fanfaron, Indiana Jones d’opérette, en fait des tonnes, brode des paroles périlleuses pour m’enrichir l’aventure. Je me dandine sur le cuir, me tiens droit parfois pour voir la route, et lui rit de mes gesticulations, exulte de voir mon bonheur de conduire.

Fin du voyage, la 404 chaude toussote et s’arrête près du grand figuier. Tandis qu’il loue mes talents de chauffeur, je le bombarde d’encore en lui tapant frénétiquement les cuisses. Et les yeux gorgés de fierté, il me promet, en tirant le frein à mains, le chemin retour et la descente encore plus belle.


Ce que c’est bien « Fut-il ou versa t’il dans la facilité »!
C’est chez Christophe Sanchez que j’ai pris la liberté de piquer ce texte.
Allez le lire plus souvent…

Collages.



Marie-Cécile tu fais suer !
Je suis parti avec Plaisir
(tu sais ? Mon ami Camerounais !)
et on a discuté, toute la soirée,
avec Prudence, Constance et Parcimonie
(trois merveilleuses amies).
Constance (qui est arrivée plus tard) nous a raconté l’histoire de la mite qui dévore une veste en tweed dans un placard et qui, dégoûtée, en recrache un morceau en disant :
– Zut ! J’ai décidément horreur de la cuisine anglaise !…
Et me voila, certes un peu bourré mais…
Bon ! j’vais dormir moi !

Comme disait Pierre Dac :
” Le chemin le plus court d’un point à un autre est la ligne droite,
à condition que les deux points soient bien en face l’un de l’autre.”

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